… marketing territorial, constats et tendances

par : Eric Murgue, Président de STRATE et fondateur de France Implantation

LA TENDANCE

La compétence économique, et en particulier l’implantation d’entreprises portées par les collectivités territoriales, ont conduit celles-ci à user de tous les stratagèmes pour capter de nouveaux projets. Le marketing territorial s’est progressivement imposé comme thématique clé, avec comme objectif central d’ « extraire » le territoire concerné d’un ensemble complexe et composite où s’entremêlent communautés d’agglomérations, villes-centres, pays, bassins d’emplois, clusters, communautés de communes et autres départements. Dans cet ensemble aux contenus brouillés, les communicants ont procédé à des démarches lourdes et passionnantes, tentant alors de faire évoluer les collectivités en termes de reconnaissance, ceci après des processus d’études fouillés, enquêtes, brainstorming, matrice SWOT, etc. L’objectif est clairement affiché en quelques points :

  • Procéder à une reconnaissance intuitive d’un territoire.
  • Engager une démarche de « portage/recommandation/prescription » collectif d’une collectivité (tourisme, économie, culture, etc.).
  • Favoriser la dynamique économique (clubs d’entrepreneurs, ambassadeurs, salons).

UN PROCESSUS QUI VA TRÈS VITE ATTEINDRE SES LIMITES

De nombreuses initiatives semblent s’avérer très intéressantes, voire judicieuses. Mais le propre de la communication et du marketing territorial consiste en un renouvellement permanent et une actualisation en corollaire. Ceci avec le souci permanent de préserver une stratégie dite de démarquage, à partir de laquelle « vous êtes remarqué car vous êtes différent des autres et de ce qu’ils font ». Le problème majeur que rencontreront très vite les collectivités est qu’elles ne seront plus différenciantes les unes par rapport aux autres. Leurs démarches de communication et de promotion en matière de captation de projets d’implantations vont alors s’user très vite pour les raisons suivantes :

  • Les collectivités territoriales se sont engagées dans un marketing territorial mixte intégrant à la fois le tourisme, la culture, l’économie locale.
  • Cette démarche dilue le marketing territorial dédié à l’implantation d’entreprise. Ceci semble logique dans la mesure où les sensibilités et les procédures liées à l’entreprise et à un programme culturel local sont diamétralement opposées.
  • Dès lors, on ne doit plus parler de marketing territorial simple, mais de marketing territorial appliqué au développement économique local, et de marketing territorial dédié à la prospection et à l’implantation d’entreprises. Et ce d’autant que les cibles sont complètement différenciées (manager, touriste, retraité).
  • Naturellement, le marketing territorial se justifie pleinement s’il accepte le fait qu’il est foncièrement incomplet. En effet, il procède d’une reconnaissance instantanée des territoires mais ne concerne guère les processus opérationnels de captation de clientèle. Il s’avère donc inefficient pour l’implantation d’entreprise qui exige des méthodes très affinées.
  • La communication territoriale économique exige une transparence parfaite. Elle ne souffre d’aucune tricherie. En effet, un dirigeant aura tôt fait de décrypter les notions surfaites ou inexactes lors de son étude d’implantation.
  • De plus, les agences de communication se sont trop souvent focalisées sur un branding exclusif. Une politique de marque ne suffit pas, surtout en matière d’implantation d’entreprises. Même si la tendance est lancée, elle deviendra à moyen terme de moins en moins porteuse. Déjà dans certains colloques on a pu relever certaines phrases sibyllines dont « …la mode de la marque de territoire est un cache-sexe brandi quand on n’a pas grand-chose d’autre à montrer… » . En clair, certains développeurs affirment qu’au delà des déclarations d’affichage, il convient de donner des preuves de la performance des territoires et de leur implication auprès des cibles qui sont visées. En particulier celles très exigeantes des décideurs candidats à l’implantation d’entreprise.
  • Enfin, et pour terminer sur ce point, comment escompter se démarquer lorsque vos cibles sont bombardées de marques territoriales aussi séduisantes les unes que les autres ? Les arguments différenciateurs sont progressivement dilués.

Quelques exemples :

  • Franche-Comté « L’ORIGINALE FRANCHE-COMTE »
  • Lyon « ONLY LYON »
  • Finistère « TOUT COMMENCE EN FINISTERE »
  • Angers « ANGERS LOIRE VALLEY »
  • Bretagne « BRETAGNE, UNE REGION QUI SE SENT BIEN PARTOUT »
  • Toulouse « SO TOULOUSE » (tellement Toulouse)
  • Pau « PAU PORTE DES PYRENEES »
  • Agglo de St Nazaire Agglomération « AUDACITY »,
  • Auvergne « NOUVEAU MONDE »

Et la liste est bien loin d’être exhaustive. Comment concevoir au delà du premier phénomène de reconnaissance d’un territoire –certes indispensable – une politique structurée, pertinente, cohérente et profitable de prospection d’investisseurs ? L’écart reste énorme. En résumé, le branding n’est qu’une composante fort utile mais délibérément insuffisante du marketing territorial appliqué à l’implantation d’entreprises. Inutile d’augmenter des budgets souvent lourds. Déjà dépassé la recherche d’accroches souvent séduisantes. Désuet l’édition de plaquettes et CD. Les pistes d’investigation résident dans l’élaboration de supports innovants, de méthodes décalées, de processus ultra ciblés. Nous y reviendrons.

EXPLORATION DE PISTES NOUVELLES

Sur la base des éléments préalablement exposés, il est intéressant de poser les bases d’une réflexion nouvelle par quelques questions :

  • Le marché de l’implantation d’entreprises (réalisations et constructions nouvelles) est extrêmement faible (certains départements français arrivent à peine à 5 ha de fonciers commercialisés pour des unités industrielles). Est-il alors utile d’élaborer des plans marketing avec des contenus massifs, sur des supports plus ou moins généralistes ?

Il apparaît un décalage patent entre la nature des outils utilisés et le dimensionnement des cibles.

  • Le marché est aussi disséminé, particulièrement complexe dans sa captation. Il passe nécessairement par une ultra segmentation en amont. De fait, les processus méthodologiques se doivent d’être très affutés. Est-il alors nécessaire d’avoir recours à des supports conventionnels, très usités (mailing, phoning, publications, etc.) ? L’analyse des projets d’implantation démontre le plus souvent que dans 80% des cas, les connexions entreprise/territoire se sont construites en dehors des canaux classiques, souvent grâce à ce que l’on a coutume d’appeler le réseau.
  • La structuration des processus productifs et des stratégies d’expansion est complexe. Elle n’est plus spontanément lisible par l’expert. Elle intègre une liste de paramètres parfois étonnants.

Exemple 1, d’un logisticien s’étant spécialisé dans la peinture de blocs moteurs d’un de ses clients fabricant de tracteurs. Exemple 2, d’un groupe de l’industrie pharmaceutique dont la dynamique s’inscrit dans l’intégration de deux sociétés de biotechnologies spécialisées dans les maladies rares. Exemple 3, avec une blanchisserie dont les sous-produits défibrés serviront à l’élaboration de panneaux d’isolation pour le bâtiment. Exemple 4, où une société biomédicale à l’origine du cœur artificiel est valorisée à 490 Mlls d’euros sans avoir commercialisé le moindre produit. Exemple 5, avec la prise en considération des services à la personne et plus spécifiquement du secteur de l’aide aux handicapés dont la dynamique passe par le développement technologique des robots.

Et tout ceci dans des modèles combinés et toujours plus complexes. Comment envisager un marketing global pour cibler les décideurs concernés ? La segmentation des marchés est déterminante et indispensable ; mais elle exige des analyses très poussées, souvent orientées vers les espaces d’expérimentation, les plateformes de développement, où les espaces de marchés.

  • Rien n’est uniforme tout est ambivalent. Les options sont multiples : intégration verticale intégrale vers l’amont, intégration verticale vers l’aval, intégration horizontale aux logiques conglomérales. Avec bien souvent pour chacun des modèles des combinaisons souvent surprenantes et des logiques d’exception.
  • Ceci dans un marché de l’implantation d’entreprise où l’essentiel des mouvements de groupes relève de particularismes forts. Nous sommes alors dans des approches aux logiques très individualisées, traduites selon des montages spécifiques et dont la connaissance ne passe que très peu par les canaux habituels de communication.

Ainsi, la captation de ce marché de l’implantation passe par le filtre d’un marketing de rareté, de personnalisation et de spécificité. En somme, à l’opposé des exemples précités où les logiques répondent à des processus de mass marketing.

Cependant, deux paramètres semblent rester stables :

  • le verrouillage de l’innovation
  • l’accès au marché

En résumé, la communication des collectivités territoriales a évolué vers la thématique du marketing territorial. Toutefois, les actions de prospection et de recherche d’investisseurs exigent bien plus. Tout l’enjeu consistera pour être efficace à inventer le marketing territorial dédié à l’implantation d’entreprises mais surtout à lui adosser les outils d’intervention qui vont avec, et non une politique de « branding » et quelques actions de communication ciblées associées.