… la valorisation des filières sectorielles

par : Jean-Christian GRIMAUD, Directeur Général des Services de la Ville de Sisteron (04)

LA NOTION DE POSITIONNEMENT SECTORIEL CONSUBSTANTIELLE AU DEVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

Avis d'expert 05La concurrence accrue entre territoires est une tendance de fond des évolutions déclenchées par la mondialisation des échanges. Cette réalité n’a fait que s’amplifier avec les mutations économiques et notamment la fermeture et les délocalisations d’industries des régions manufacturières traditionnelles.
Afin de s’adapter à ces évolutions, les acteurs publics recentrent leurs interventions autour des notions de compétitivité et d’attractivité dans un monde où les stratégies d’entreprises déterminent là où il y a de l’activité et de la création de richesse.
C’est cette vision qui inspire depuis quelques années les politiques d’aménagement du territoire, par le biais des pôles de compétitivité et des pôles d’excellence rurale qui en sont la traduction la plus manifeste. A travers ces deux leviers, il s’agit d’exploiter les avantages comparatifs de la proximité territoriale pour mettre en mouvement des savoir-faire locaux, entrepreneuriaux, techniques et scientifiques divers sur un territoire donné.
Alors que pendant des années, la France s’est cantonnée à agir économiquement dans une logique exclusivement sectorielle (l’aéronautique, l’atome, les céréales…), les outils utilisés aujourd’hui englobent enfin la composante territoriale majeure en terme d’identification des avantages compétitifs des territoires issus d’une tradition, d’une identité, d’un caractère qui poussent à des particularismes, nationaux, régionaux voire locaux.
Pour un pays comme la France, le secteur de la mode, les industries du luxe comme la haute couture ou les parfums, les secteurs du goût comme le vin et la gastronomie, de l’agroalimentaire ou du tourisme, font partie de ces avantages compétitifs qui s’affirment en s’inscrivant dans un territoire donné. Une région peut aussi s’appuyer sur ses ressources naturelles, ses agro-ressources, son patrimoine, les secteurs du goût (champagne, gastronomie, tourisme culturel).
De façon essentielle, le positionnement sectoriel privilégié sur un territoire relève de la forte identité des entreprises, de leurs produits en lien direct avec la région où elles sont implantées.
La « dynamique des territoires » et la compétitivité des entreprises qui y sont installées se construisent sur des bases différenciées : coûts bien sûr, mais aussi qualité, réputation, pouvoir de marché, et encore adaptabilité à l’évolution des besoins et des technologies, à de nouvelles formes d’organisation, à des nouveaux marchés (économie verte), etc…
Les régions agricoles ont un avantage souvent décisif pour développer des filières en amont et en aval, de l’agriculteur jusqu’à la transformation de la production. Cette stratégie de filière « terroir » s’appuie souvent sur une démarche de produit « phare » de qualité, reconnu grâce à un label. C’est le cas par exemple de l’Agneau de Sisteron et son Indication Géographique Protégée ou de la pomme « Golden des Alpes » et son label Rouge. Certaines « niches » de spécialités se développent dans une région où des savoir-faire spécifiques, techniques et organisationnels, se sont accumulés à l’instar de l’industrie cosmétique qui s’est structurée autour de la lavande en Haute Provence.
Aujourd’hui, plus que jamais, dans le domaine de l’accueil des entreprises et celui du développement économique et de l’emploi, les territoires s’analysent en termes de concurrence. Cela a toujours existé sauf que le problème se pose avec encore plus d’intensité car l’offre territoriale de lieux d’implantation est fortement excédentaire par rapport à la demande des porteurs de projet. D’où l’impérieuse nécessité pour les collectivités de se différencier et d’utiliser les mêmes outils de stratégie marketing que les entreprises qu’elles veulent attirer. Offrir un produit intéressant (du foncier, de l’immobilier, des services, des infrastructures…), des tarifs compétitifs (prix des terrains, loyers, pression fiscale, mutualisation entre entreprises à travers des Systèmes Productifs Locaux…), une bonne image (territoire entreprenant, structuration de filières, identité locale en adéquation avec l’activité économique) et enfin être accessibles et ouverts (grâce aux voies de communications numériques, routières, aux transports, qui permettent aux entreprises de se rapprocher de leurs clients).
La force d’un territoire n’est donc plus seulement tributaire des avantages de coûts d’installation et de fonctionnement courant des entreprises sous forme de primes ou de taxes. Elle est aussi fonction de l’existence d’avantages spécifiques qui s’incarnent dans le jeu de relations productives locales.
Les collectivités locales n’hésitent plus aussi, à conduire des politiques élaborées de promotion de leur territoire, revendiquant un positionnement particulier sur des secteurs spécifiques cohérents avec l’identité et le potentiel du territoire et avec les tendances économiques structurelles et conjoncturelles. Cette approche se développe d’abord par la définition et la représentation du territoire.
A titre d’exemple, c’est ainsi que s’est développé au cours des dernières années le concept de « Vallée des énergies nouvelles » le long de la Durance de Gap à Aix en Provence. En effet, l’arrivée du Projet ITER (dont l’ambition est de trouver l’énergie nucléaire du futur) au CEA de Cadarache, concomitamment avec la volonté de lutter contre l’effet de serre et l’avènement des nouveaux moyens de production d’énergies renouvelables, ont poussé naturellement les acteurs locaux à privilégier le photovoltaïque (dans l’une des régions les plus ensoleillées de France), là où l’hydroélectrique était déjà très développé.
Autre exemple, l’agglomération nîmoise s’interroge actuellement sur son positionnement économique et sectoriel en vue de préparer l’arrivée de la nouvelle gare TGV en révisant sa stratégie pour les 10 années à venir, d’abord en déterminant l’attractivité de Nîmes, en envisageant les filières d’avenir au travers d’une réflexion collaborative d’acteurs (du monde de la Recherche, d’industriels, de Business Angels…), en prenant en compte les flux et réseaux générés par la gare TGV pour envisager les positionnements sectoriels futurs de l’agglomération et en répertoriant les axes de progrès afin de renforcer l’activité des filières identifiées et renforcer l’attractivité du territoire.
La concurrence tend donc à renforcer la cohésion de tous ceux qui définissent le territoire comme leur. Les entreprises comme les individus s’identifient souvent par rapport au territoire dans lequel ils vivent. Le sentiment d’appartenance d’une entreprise est plus ou moins fort selon son histoire, son activité, sa taille, les hommes et les femmes qui la dirigent ou y travaillent, etc… D’ailleurs, la globalisation économique exacerbe ce sentiment d’appartenance à un territoire. Au-delà du produit lui-même, le territoire est adopté comme un vecteur d’image de marque fondamental.
Pour les entreprises, le territoire est de nouveau, vu comme porteur d’avantages en termes d’efficacité économique et de rentabilité car il devient un levier favorable à l’épanouissement de son activité et de ceux qui y travaillent.
En matière de concurrence entre les territoires, de leur attractivité et des différences de développement, l’expérience démontre qu’il n’y a pas de fatalité. Des régions présentant de forts handicaps en termes de ressources productives, peuvent se développer dès lors que des outils mis en place par la puissance publique permettent de dégager des avantages locaux spécifiques grâce à un positionnement sectoriel pleinement et durablement assumé.
Dans un contexte de crise économique comme celui d’aujourd’hui avec une croissance faible voire nulle où le chômage frappe partout, la recherche de l’attractivité des territoires est devenue capitale voire vitale. Les pouvoirs publics locaux n’ont d’autre choix que de créer un environnement propice pour attirer ou maintenir des emplois dans leur commune, leur département ou leur région. Accueillir des entreprises qui créent des emplois, c’est la meilleure manière de doter le territoire des atouts qui lui assurent un avenir favorable à long terme.

Jean-Christian GRIMAUD
Directeur Général des Services de la Ville de Sisteron