Le goût des plans sociaux…

Eric Murgue – Juin 2011

Des dizaines de fois j’ai parcouru ces ateliers et autres usines désaffectées victimes de plans sociaux. Et toujours retrouvé le goût du désastre quand on mesure toute l’immensité des dégâts.

Humains d’abord, avec ces Hommes et ces Femmes formés et qualifiés qui viendront gonfler les rangs des demandeurs d’emplois. Les rares qui restent, souvent complètement démobilisés, achèvent les dernières commandes et règlent les affaires courantes. L’art du métier, de la technique, du savoir-faire et du geste ne comptent plus. Le plus souvent, ces compétences vont ainsi s’évaporer. Les travées se vident, l’atmosphère est pesante. L’expert qualifie cela « de redimensionnement des paramètres productifs». Les employés eux parlent de désastre. Les lignes de production sont muettes. Les matériels triés. Certains pour rejoindre des sites de production nouveaux, généralement en Chine, en Europe de l’Est ou vers le Maghreb. Dans un coin, de nombreux matériels sont entassés, réduits à la seule valeur du poids de leur matière.
J’avance encore.
Au détour d’un couloir, l’éternel calendrier des pompiers pointé de ce que j’imagine être les fêtes du village. Un peu plus loin les vestiaires et leur goût âcre de l’eau stagnante. Un certain « Dédé » a griffonné sont nom au marqueur noir sur la porte en tôle grise de son casier. Toujours les mêmes vestiaires depuis des lustres, toujours les mêmes atmosphères dans ces espaces sociaux d’un autre temps. Le délégué CGT local s’est passé les nerfs en tapissant tous les autres emplacements de son éternel autocollant rouge.
Et toujours ce fameux gardien qui nous suit. En charge des visites, de la sécurité et de je ne sais quoi. Il est exaspérant avec son allure d’alpiniste ceinturé de sa collection de clés dont il ne sait qu’elles n’ouvrent désormais que les portes de l’ennui ou de la désespérance.
Plus de vie, plus de bruit. Juste des odeurs d’huile, de carton ou de plastique qui rappellent qu’en son temps, on a fabriqué ici. Et les gens étaient heureux. C’était avant la crise, avant les 35 heures, avant les parachutes dorés et les méga bonus des traders.
Au-delà des fermetures accumulées, ce sont aussi des territoires qui vont ainsi perdre un morceau de leur vie. Des dynamiques de flux entretenues par les personnels bien sûr, mais aussi ces emplois indirects, les services satellites, les prestations extérieures et tous les sous-traitants.
La perte d’une usine c’est un morceau du poumon local qui s’atrophie. Certaines collectivités sauront respirer avec un seul poumon. Mais l’asphyxie guette. Elle peut venir très vite pour nombre de nos territoires.
Je termine ma visite.
Elle sera mon 100ème plan social !