Implantation d’entreprises : analyse du processus de décision

De la nécessité d’évoluer à la décision de faire.

Considérant la problématique de localisation d’entreprises, il est indispensable d’insister sur une étape amont, incitatrice du processus même d’implantation, à savoir la décision d’investissement. En effet, cette dernière conditionne, oriente et justifie le lourd processus visant la réalisation d’un nouveau projet (unité industrielle ou tertiaire, centre technique, base logistique, pôle de recherche & développement, etc.). En matière d’implantation d’entreprise, cette phase est souvent très longue. Nous avons pu constater des durées allant jusqu’à trois voire quatre années de réflexion et d’analyses diverses.

Globalement, deux approches sont recevables pour tenter d’expliquer le cheminement psychologique du décideur :

  • une phase cartésienne et analytique (la maturation du processus de décision)
  • une étape souvent intuitive et irrationnelle (le processus de repérage d’un territoire)

IMPORTANT : c’est dans cet ordre que la réflexion est conduite, mais le processus s’inverse lorsqu’il s’agit de déterminer les territoires qui vont alors faire l’objet de la projection du projet.

 

1- La décision d’investissement

La première approche concerne la prise de décision elle-même. Elle s’inscrit selon une démarche interne à l’entreprise et tend à justifier le processus grâce auquel la décision du dirigeant se construit, du simple ressenti d’évoluer, jusqu’à la décision d’investir. Ceci en cheminant par les différentes phases intermédiaires de l’étude de faisabilité du dossier. Plus précisément, un projet d’implantation d’entreprise est une procédure mûrement réfléchie au sein de l’entreprise, souvent inscrite sur une période d’observation et d’analyse longue et instable. Elle doit correspondre à une analyse globale et homogène, intégrant tous les paramètres justifiant une décision pouvant s’avérer lourde de conséquences. Cette démarche se doit d’être :

  • Justifiable (pourquoi l’entreprise s’engage ?)
  • Cohérente (quelle est la logique d’une telle stratégie ?)
  • Économiquement viable (quels sont les paramètres qui la rendent raisonnable et pérenne ?)
  • Financièrement réalisable (l’entreprise a-t-elle les moyens de ses ambitions et saura-t-elle mobiliser les partenaires pour ce faire ?)

 

Dès lors qu’un développeur aura à intervenir à quelque niveau que ce soit sur un dossier d’implantation, il devra impérativement « s’imbiber » de la stratégie de l’entreprise. En somme, comprendre la logique de fond poursuivie par le dirigeant et accompagner ce dernier à affiner son projet. Cette étape est indispensable pour apporter des réponses fiables à un cahier des charges d’implantation souvent compliqué car sans cesse redimensionné selon l’actualité et la vie de l’entreprise.
Toute la difficulté pour le consultant « chasseur d’entreprises », sera de s’inscrire le plus tôt possible sur la chaîne de décision de l’entreprise. Plus il intervient en amont, plus ses chances d’accompagner l’entreprise jusqu’au territoire sélectionné seront fortes. Sa principale difficulté consistera à rester présent sans être omniprésent.
Rester « accompagnant » sans être « importunant » est la posture délicate et compliquée que devra trouver le développeur aux côtés du dirigeant.

Sur un plan plus opérationnel, l’étude d’implantation relève d’un cheminement où s’entremêlent un système d’informations formalisé à l’interne principalement autour des axes de raisonnement suivants :

  • La structure organisationnelle de la firme (comment s’organise l’entreprise ?)
  • L’analyse qu’elle procède de son marché (comment s’insère-t-elle au sein de son environnement économique ?)
  • Et la capacité dont elle dispose pour mener à bien son programme évolutif (son projet est-il cohérent et réalisable ? Avec quelles ressources ?)

…puis un second système d’informations organisé à l’externe et principalement alimenté par les structures périphériques (collectivités locales, agences de développement, partenaires du développement économique)

  • Comment optimiser le choix de l’entreprise par les ressources internes au territoire ?
  • Comment rester raisonnable et éviter la surenchère à tous crins ?
  • Comment valoriser les facteurs de différenciation de la collectivité ? En somme être meilleur que le compétiteur par l’émergence des différences.
  • Comment arriver dans la sphère intimiste du dirigeant ?

 

On souligne que le développeur a l’obligation de s’approprier le projet d’implantation. Il décrypte l’entreprise et mesure sa capacité à évoluer. Il est préférable qu’il soit accompagné par une expertise avisée pour toutes les démarches techniques (analyse financière, options juridiques, etc.). Ainsi vont interagir les deux systèmes d’information précités, ceci dans une actualisation et une interactivité permanente, gages de réussite pour les deux parties que sont le chef d’entreprise avec un projet d’installation réussi, mais aussi la collectivité avec ce même projet porteur de création d’emplois, de flux divers, en somme de richesse et de dynamique pour le territoire.

 

2- La décision du choix du territoire

La seconde approche positionne la firme comme réceptrice d’informations externes, (documentations, argumentaires, publicités diverses, sollicitations de collectivités territoriales, études d’implantation, enquêtes). Les éléments transmis sont censés relever du rationnel, du factuel, du non opposable. Cependant, on oublie bien souvent qu’ils sont le fruit de travaux marketing pour lesquels des communicants et autres publicitaires ont pu surestimer certains argumentaires et surfer ainsi sur des tendances accrocheuses (pôles de compétitivités, signatures prestigieuses, clusters, incubateurs, concepts high-tech, etc.). Progressivement, le territoire devenu produit se retrouve doté de caractéristiques souvent surfaites et parfois très éloignées de la réalité des faits.
Le manager doit rester vigilant. Après une analyse cartésienne et très rationnelle – voir point précédent – il peut rapidement glisser vers le « territoire-consommable » des magazines économiques et des campagnes de prospection. Par comparaison à la première approche, on parlera de comportement impulsé ou spontané à partir d’éléments pour lesquels la justification technico- économique n’est que secondaire. C’est l’aspect intuitif de l’implantation. Aussi surprenant que cela puisse paraître, nombre de décideurs peuvent être sensibles à cet affichage consumériste du territoire. De plus, une part significative des dossiers d’implantation d’entreprises relève de comportements émotifs (coup de cœur pour une région par exemple, connaissance d’un élu, lien familial) plutôt que d’analyses socio-économiques pures.

Au cours de l’été 2001, le cabinet KPMG en partenariat avec le CNER (fédération des comités d’expansion et agences de développement économique) publiait les résultats d’une étude dont les orientations rejoignent précisément les constats et tendances relevés plus haut.
L’essentiel de l’analyse concerne les facteurs de localisation. Les auteurs de ces approches mettent en avant – et à juste titre – l’impact des phénomènes subjectifs dans la procédure de localisation. Il est avancé l’idée d’une troisième catégorie de facteurs, celle « des liens antérieurs ». Cette dernière venant ainsi après les classiques analyses de facteurs objectifs et subjectifs.
Ainsi, l’étude KPMG a consisté à démontrer quelle était l’origine de la connexion (mise en relation) entre une entreprise ayant réalisé une démarche de réinstallation (création, relocalisation, extension) depuis moins de 5 ans, et le territoire d’installation. L’enquête a porté sur une centaine d’entreprises pour des mouvements intra nationaux. Dans 80 % des cas, les dirigeants interpellés signalent l’existence de « liens antérieurs » avec le territoire d’accueil. Pour 51 % d’entre eux, ils soulignent le caractère déterminant de ces liens dans le processus de décision. Pour ce qui concerne la nature de ces liens, on note :

  • les connexions d’ordre familial et amical (19 %)
  • les relations d’affaires (18 %)
  • les liens relatifs à l’actionnariat (17 %)

Naturellement ces liens sont superposables, augmentant alors leur impact. De plus, l’analyse démontre la correspondance manifeste entre facteurs de localisation du territoire et « support de connexion » en direction du dirigeant. A titre d’exemple, il est possible de dire qu’une collectivité disposant d’un tissu performant et dynamique de PMI, aura pu le valoriser et l’utiliser comme facteur d’attractivité grâce à l’existence en amont de liens de type client-fournisseur – « le support de connexion » – entre des structures locales et l’entreprise candidate à une installation.

 

3- Processus séquentiel du choix du territoire

L’expérience acquise par STRATE et mise au service de la plateforme France IMPLANTATION dans le domaine de l’implantation d’entreprises nous conduit à modifier quelque peu cette typologie factorielle. Ainsi, il nous semble plus objectif, non pas de considérer trois types de facteurs – objectifs, subjectifs et « les liens antérieurs » – tels que proposés par KPMG, mais trois séquences dans le processus intellectuel développé par le dirigeant.

Première séquence :

Elle répond à une, voire deux logiques d’analyse au maximum. Il s’agit alors pour le dirigeant d’établir la justification de son projet. C’est la phase de déclenchement.
Généralement ces deux logiques de réflexion s’organisent selon deux voies :

  • Une voie par défaut ; l’entreprise est alors plus dans un besoin de remise en configuration production ;

Exemples :
« Je suis gêné dans mon expansion en raison de difficultés à m’étendre sur place »
« Je suis empêché pour mon développement à cause de …………. »

  • Une voie dite dynamique ; l’entreprise se positionne spontanément en stratégie d’agressivité ;

Exemples :
« Mes marchés s’intensifient vers l’Est, il serait donc logique d’évoluer vers une stratégie export trop faible actuellement pour l’entreprise »
« Mes principaux concurrents disposent d’une représentation en région, il serait donc logique que j’y sois installé »
« Nous disposons de brevets qu’il nous convient de concrétiser par l’industrialisation de nouveaux produits ou systèmes »

Deuxième séquence :

La séquence précédente étant acquise – et ceci motivé par une démarche complètement objective – le chef d’entreprise opère alors un pré-tri territorial. Plus précisément il s’agit d’une procédure de choix élargie, souvent conduite de manière intuitive et un peu grossière. Le dirigeant raisonne alors par grandes sphères géographiques. En voici quelques exemples (grand-Est / Arc Atlantique / Région Parisienne / Vallée du Rhône / Frontière Benelux / Port du Nord de la France / Aéroport de province, etc.).
Dès lors, nous ne sommes plus vraiment dans une procédure cartésienne. L’orientation défendue par KPMG reste complètement pertinente. Elle va néanmoins s’opérer sur le pré-tri réalisé par le dirigeant. La logique des liens d’antériorité intervient alors dans une analyse des territoires, ceci à partir des éléments et connexions diverses dont dispose le dirigeant (connaissances, réseaux, partenaires). Ces mêmes liens sont influents voire déterminants dans 80 % des cas d’implantation, toujours selon l’approche KPMG. Conclure que 80 % des installations d’entreprises s’opèrent selon une procédure subjective reste quelque peu expéditif. Il semble cependant plus juste d’avancer le fait qu’un dispositif multicritères subjectif vient tenter de répondre à un cahier des charges purement objectif. Ceci est d’ailleurs rassurant.

Troisième séquence :

Pour cette troisième phase, il s’agira pour le cadre dirigeant de se voir rassuré quant à son choix. Schématiquement, le choix subjectif doit se trouver conforté par des justifications cette fois bien réelles et le plus proche possible du cahier des charges du dirigeant. Il sera alors très largement aidé par la collectivité qui coûte que coûte va s’astreindre à se valoriser. C’est précisément sur cette phase que les plus grosses erreurs de localisation sont commises. Chacun connaît ainsi cette fameuse liste de facteurs systématiquement présentée dans chaque plaquette commerciale. C’est aussi sur ce troisième point que les argumentaires des collectivités sont le plus dévoyés de la réalité. Ceci en raison du fait qu’il conviendra de répondre de manière très concrète à un choix – effectué selon notre terme du pré-tri territorial – pas forcément adapté aux besoins de l’entreprise.

En résumé nous avons l’arborescence décisionnaire suivante :

  • Un facteur déclenchant (objectivité parfaite). Le support est le cahier des charges de l’entreprise.
  • Un pré-tri global (objectivité relative). Le dirigeant raisonne selon une logique dite de grands espaces.
  • Une orientation selon les liens antérieurs (subjectivité totale). Au sein même des grands espaces qui correspondent à une vraie logique d’entreprise émergent alors des zones spécifiques directement issues du lien irrationnel dont dispose le dirigeant avec cette collectivité.
  • Une recherche de facteurs optimaux (subjectivité relative). Le dirigeant tente alors de caler une analyse rationnelle sur un choix territorial semi rationnel.

 

Globalement il est possible de dire – par expérience – que l’essentiel des opérations de localisation est satisfaisant. Néanmoins, il convient de préciser qu’en dépit d’une première procédure d’analyse le plus souvent cohérente et calculée, vient se superposer un mode opératoire à l’implantation relevant plus d’un comportemental spontané que d’une procédure analytique et mûrement calculée. Au final, nous sommes plus dans un choix de territoire convenable qu’idéal.